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Nikola Karabatic : « J'ai pu vivre mon rêve jusqu'à mes 40 ans, c'est juste incroyable »

Nikola Karabatic dans les locaux de L'Équipe mardi 9 avril. (A. Réau/L'Équipe)
Nikola Karabatic dans les locaux de L'Équipe mardi 9 avril. (A. Réau/L'Équipe)

Avant de franchir ce jeudi le cap des 40 ans, Nikola Karabatic, la star des Bleus et du PSG, a longuement échangé sur son immense carrière en compagnie des abonnés de L'Équipe. Avec un bonheur contagieux.

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« Tout le monde aime le hand, ça va ? » Dans un grand sourire, Nikola Karabatic achève de détendre les abonnés de L'Équipe conviés mardi après-midi à rencontrer l'icône du handball français, après avoir serré la main de chacun et de chacune. Sweat-shirt blanc aux manches relevées, jeans et baskets blanches, la star de l'équipe de France et du Paris-Saint-Germain pose sa grande carcasse (1,96 m, 107 kg) sur un canapé bleu - forcément - devant un écran géant où défilent des photos de ses triomphes.

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À deux jours d'atteindre le cap des quarante ans, le triple champion olympique semble toujours habité par cet émerveillement qui ne le quitte plus, depuis qu'il a annoncé la fin de son immense carrière pour l'été prochain, après les JO de Paris (26 juillet-11 août). On est entre passionnés de sport et il passe naturellement au tutoiement.

Marion a joué au handball pendant douze ans « et c'est un peu grâce à vous que j'ai commencé, j'hésitais avec le volley ». « Tu ne regrettes pas ? », taquine-t-il. Elle n'est pas la seule à être visiblement touchée de voir le meilleur joueur de l'histoire.

Charles-Antoine le lance sur les champions qui l'ont inspiré, il cite les « Barjots » Jackson Richardson, Frédéric Volle et Denis Lathoud, le Suédois Stefan Lövgren, « mon idole absolue ». Il ne s'arrête plus : « J'avais cette volonté profonde d'être le meilleur handballeur au monde. Une fois que je l'avais atteint très tôt dans ma carrière, j'ai essayé de le répéter plusieurs fois, d'être le meilleur possible. C'était mon fil rouge. Après, j'ai regardé ce que faisaient les autres sportifs : je veux être meilleur que Tony Parker, que Teddy Riner... Je puisais des challenges partout. »

« Au début, ce qui me motivait, c'était qu'individuellement je voulais être le meilleur ; c'est paradoxal dans un sport co, Avec le temps, j'ai appris à vraiment me mettre au service du collectif, à être parfois juste au relais des autres »

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L'émotion le saisit, un peu par surprise, quand François lui demande ce qu'il aurait aimé que son père et premier entraîneur, Branko (décédé en 2011) dise de lui le jour de son dernier match. Il écrase une larme et souffle : « Je pense qu'il aurait eu cette réaction-là. »

Nikola Karabatic devant la photo de remise du trophée du Championnat d'Europe gagné avec les Bleus en janvier dernier. (A. Réau/L'Équipe)
Nikola Karabatic devant la photo de remise du trophée du Championnat d'Europe gagné avec les Bleus en janvier dernier. (A. Réau/L'Équipe)

Il relève la tête et enchaîne : « Je ne suis pas souvent pris par la tristesse. Mais c'est arrivé lors du dernier Euro, en demi-finales contre la Suède, pendant la Marseillaise. Je ne sais pas pourquoi, il y a un truc qui est monté et j'ai eu l'impression de partager cette émotion avec Nico Tournat à côté de moi. Au même moment, une petite larmichette est partie. Les émotions, ce n'est pas bon de les retenir. Sur le terrain, il faut apprendre à les voir arriver, les laisser passer et avancer. » Il le reconnaît, c'est plus dur quand la colère l'envahit, sur une erreur d'un coéquipier ou une décision arbitrale injuste : « Je me suis parfois servi de ces colères-là pour être plus agressif. Mais je me suis rendu compte qu'elles te pompent beaucoup d'énergie, je me suis auto-entraîné à en sortir. »

« Comment ? » le relance Jeff, tel un intervieweur chevronné. « En lisant des livres de psychologie, de préparation mentale, précise-t-il. J'ai vu le film Vice-Versa avec mes enfants ; la colère avec le personnage qui s'échauffe, je me suis bien reconnu ! »

Au fil de deux décennies en équipe de France, son rôle a profondément évolué. Victor s'interroge sur la frustration qu'il pourrait ressentir, aujourd'hui, de ne plus peser autant par ses performances personnelles. « Au début, ce qui me motivait, c'était qu'individuellement je voulais être le meilleur ; c'est paradoxal dans un sport co', pose-t-il. Avec le temps, j'ai appris à vraiment me mettre au service du collectif, à être parfois juste au relais des autres. Aujourd'hui, je n'ai plus à marquer 10 buts à chaque match. Je me rends compte aussi que je peux donner confiance à d'autres joueurs juste par ma présence, c'est fou. »

« En arrivant au match à Orléans, je m'aperçois que j'avais oublié mon sac à Paris ! J'ai dit à Luka : « Ce n'est pas possible, il y a 10 000 spectateurs, un hommage pour moi, comment je vais faire ? » Et par un concours de circonstances, il avait ce jour-là pris deux paires de chaussures ; j'ai pu jouer sans avoir à payer une amende dans la caisse noire »

Amélie a assisté au match Saran-PSG à Orléans (29-37), le 17 février, où Karabatic a été honoré par le club local et ovationné par les 11 000 spectateurs, comme à (presque) chaque journée à l'extérieur cette saison. « On ne peut pas se préparer à ça, avoue-t-il. Je me sens très reconnaissant envers le public qui me réserve une ovation alors que je joue pour le club adverse. Je reçois beaucoup d'amour, c'est une chance unique, ça me pousse à me donner à fond sur le terrain. »

Et de livrer une anecdote incroyable pour ce professionnel si méticuleux : « En arrivant au match à Orléans, je m'aperçois que j'avais oublié mon sac à Paris ! C'était la première fois de ma carrière que ça m'arrivait. J'ai dit à Luka (son frère et coéquipier) : « Ce n'est pas possible, il y a 10 000 spectateurs, un hommage pour moi, comment je vais faire ? » Et par un concours de circonstances, il avait ce jour-là pris deux paires de chaussures ; j'ai pu jouer sans avoir à payer une amende dans la caisse

Cette belle histoire qu'il partage avec son petit frère depuis quinze ans (Luka fêtera ses 36 ans le 19 avril) intéresse beaucoup Marion. « Ça a beaucoup évolué, rembobine l'aîné. Au début, c'était un mélange de bonheur de jouer avec mon frère et de pression pour moi car j'avais envie de lui apporter tout mon savoir pour l'aider à progresser. Aujourd'hui, il est capitaine du PSG et de l'équipe de France et je suis beaucoup plus heureux de n'avoir plus besoin de lui dire qu'il aurait dû faire ci ou ça ! »

Photo souvenir sur la terrasse de L'Équipe pour Nikola Karabatic et les dix abonnés, mardi, à Boulogne-Billancourt. (A. Réau/L'Équipe)
Photo souvenir sur la terrasse de L'Équipe pour Nikola Karabatic et les dix abonnés, mardi, à Boulogne-Billancourt. (A. Réau/L'Équipe)

À l'approche de la ligne d'arrivée, nourrit-il des regrets ? demande Cédric. « Rien du tout. » Il ne citera ni les quelques trophées envolés ni sa condamnation en justice dans l'affaire des paris sur le match Cesson-Montpellier en 2012. « Que ce soit en bon ou en mauvais, tout ce que j'ai vécu m'a amené à ce que je suis aujourd'hui, philosophe-t-il. Et je m'aime bien, j'aime bien ce que j'ai fait et comment j'ai évolué. Si je n'avais pas vécu certaines choses, je ne serais peut-être pas là, devant vous, à pouvoir encore gagner une Ligue des champions et les JO à 40 ans. »

Cédric sonde ses craintes sur la reconversion, Karabatic le rassure : « Ma fin de carrière ne m'angoisse pas trop. Peut-être que dans un an je vous dirai que je suis en dépression, que c'est horrible... Mais là, je vois ça comme une chance. J'ai pu vivre mon rêve jusqu'à mes quarante ans, c'est juste incroyable, plus de vingt-deux années que je pratique ce sport très exigeant physiquement. Après, vivre cette petite mort du sportif, ce sera une expérience. Je ne veux pas être le vieux sportif qui radote, j'ai envie de me réinventer. »

Quand Jimmy lui demande à qui il pourrait ressembler dans cinq ou dix ans, il cite l'exemple de Yannick Noah : « Il a été capitaine de Coupe Davis, chanteur, aujourd'hui il est chef d'un village au Cameroun. Alors je ne vais pas me mettre à chanter ! Mais il a fait ce que lui ressentait, ce que son coeur lui dictait. Il a fait un milliard de choses différentes, très basées sur l'humain, ça m'attire beaucoup. »

Patrick se demande si sa notoriété lui pèse parfois. « Au final, non. Comme tout le monde, je vais faire mes courses avec mon caddie. Il y a le caissier qui me félicite, mais je trouve ça génial, je me dis que le hand est reconnu. Il n'y a qu'en Croatie que ça peut devenir pesant. Là-bas, j'ai été suivi par des paparazzi, il y a eu des articles people. J'ai pu vivre ce que vivent certains footballeurs. »

Mais il prend toujours soin de rendre leur affection aux supporters. À la fin de la rencontre, il prendra encore un long moment à discuter, offrir des selfies et des autographes, bien au-delà de l'horaire imparti. Dès le début de l'après-midi, Karabatic s'était dit « très heureux d'être là, avec des lecteurs passionnés, de prendre aussi un peu de votre enthousiasme et de votre énergie pour ce sprint final de ma carrière ». Le voilà paré à attaquer sa cinquième décennie et sa quête d'une ultime volée de trophées. Jeff, qui a acheté des places pour la finale des JO à Villeneuve-d'Ascq (Nord), lui a donné rendez-vous le 11 août au stade Pierre-Mauroy.

publié le 11 avril 2024 à 00h05 mis à jour le 11 avril 2024 à 18h29
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