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Pour Alexandre Léauté, champion paralympique sur piste, c'est l'or après la dépression

Alexandre Léauté, en plein effort, lors des Championnats du monde de poursuite en 2023. (E.Garnier/L'Equipe)
Alexandre Léauté, en plein effort, lors des Championnats du monde de poursuite en 2023. (E.Garnier/L'Equipe)

Si Alexandre Léauté (23 ans) a largement participé au succès des Bleus lors des Mondiaux sur piste, s'arrogeant 4 de leurs 12 titres, il a aussi traversé une phase de dépression en tout début d'année.

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En plongeant dans son palmarès, on est pris du même vertige qu'en le suivant du regard sur un anneau de vitesse. À l'occasion des Mondiaux sur piste qui se sont achevés dimanche à Rio, Alexandre Léauté a ajouté quatre nouvelles médailles d'or à sa collection qui en compte désormais dix-neuf (dont 6 sur la route).

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Champion paralympique de la spécialité, il a débuté avec une victoire sur la poursuite individuelle. « On était parti pour ce titre, le reste serait du bonus. Mais le bon temps m'a libéré pour les courses d'après », estime-t-il. Dans la foulée, il a été sacré sur le kilomètre, avec un record du monde à la clé (52''663), puis il a remporté le scratch, et donc l'omnium. « Ce sont des Mondiaux plus que réussis. Je n'en retire que du positif ! »

« Il fallait que je passe ce cap, que j'apprenne à dire ''non !'' »

Forcément, en réussissant le même quadruplé qu'en 2022, au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, on ne peut s'empêcher de l'imaginer de nouveau sur la piste francilienne qui accueillera dans cinq mois les Jeux Paralympiques (28 août-8 septembre). Mais lui refuse de se projeter. Il sait que l'échéance est encore lointaine. Qu'il reste du travail, et peut-être des embûches qui se dresseront sur le chemin. Au détour d'une phrase, Alexandre Léauté avoue ainsi qu'il a souffert de dépression pendant les deux premiers mois de l'année. « Ça n'allait vraiment pas jusque très récemment, glisse-t-il. La seule chose qui me sauvait un peu, c'était le vélo. Mais je n'ai pas lâché l'affaire. »

À l'instant d'expliquer son mal-être passager, le Breton qui compose avec une atteinte partielle de la mobilité côté droit, consécutive à un AVC à la naissance, pointe le trop-plein des sollicitations. Depuis qu'il s'est révélé au Japon, avec quatre médailles, qu'il y a été désigné porte-drapeau pour la cérémonie de clôture, ses exploits ne cessent d'intensifier sa popularité. « J'avais envie de dire oui'à tout pour ne froisser personne. J'avais peur d'être désagréable. Mais il fallait que je passe ce cap, que j'apprenne à dire 'non'. J'ai fini par comprendre que, si je ne le faisais pas, c'est mon corps qui allait céder. La tête, elle, avait déjà lâché... »

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Derrière le sourire, on devine les doutes qui ont alors pollué son esprit. « J'avais déjà envie d'être en septembre, que tout soit terminé. C'est une erreur que j'avais commise aux Jeux de Tokyo mais que je ne veux jamais reproduire. Je veux profiter de chaque moment. » Mais, comment profiter quand on se débat contre d'insidieux démons ? « Je ne me sentais pas légitime à me sentir mal, verbalise-t-il. Je vis un truc de ouf, je vis de mon métier, pleins de gens rêveraient d'être à ma place. Dans ma vie, tout est extraordinaire alors que je sais que, pour certains, c'est difficile de se lever le matin pour aller travailler. Je ne pouvais pas m'autoriser à me plaindre. »

Parce qu'il n'y a pas que la piste dans la vie. (B.Papon/L'Equipe)
Parce qu'il n'y a pas que la piste dans la vie. (B.Papon/L'Equipe)

Pendant cette période brumeuse, il tient grâce aux semaines d'entraînement avec l'équipe de France. « Mais quand je rentrais chez moi le week-end, il n'y avait plus rien. Je m'entraînais tout seul, il ne faisait pas beau en Bretagne... La seule chose qui m'animait la journée, c'était d'aller faire du vélo. Le reste du temps, j'étais dans ma chambre, volets fermés, à regarder Netflix. »

« Cinq médailles d'or aux Jeux, c'est quasi-mission impossible. Ça pourrait être un rêve, mais je veux être honnête avec moi-même »

Pour ne pas l'inquiéter, il ne dit rien à sa famille, rend même visite à un psychologue dans leur dos. « Comme je devenais un peu désagréable au quotidien, mes parents se sont posé des questions. Un soir, ils m'ont pris entre quatre-yeux, fin février, et j'ai fini par leur expliquer. » En revanche, il a accepté de s'appuyer sur son entourage sportif. « Ce qui m'a peut-être aidé aussi, c'est que je savais que ça n'allait pas, je savais qu'il fallait que j'en parle. Même si j'ai d'abord voulu essayer de me débrouiller tout seul, comme d'habitude », grimace-t-il.

Très vite, pourtant, il s'est confié à Mathieu Jeanne, son entraîneur, à Kevin Le Cunff et Thomas Peyroton-Dartet, devenus bien plus que des coéquipiers. « Ils m'ont sorti la tête de l'eau. Je ne me sens toujours pas légitime pour me plaindre, mais je vais mieux, donc c'est plus supportable », promet-il. Doucement, le nuage s'est dissipé.

Juste avant de s'envoler pour le Brésil, il a ainsi accepté une invitation d'Emmanuel Macron à dîner à l'Élysée. Mais n'a pas osé le détromper quand le président lui a demandé s'il remporterait bien cinq médailles d'or cet été, comme le nombre de titres mondiaux décrochés l'été dernier. « Je ne me voyais pas lui expliquer les catégories, le fait qu'on est regroupé pour certaines épreuves. Si on avait été que tous les deux, je me le serais permis, mais il y avait d'autres athlètes, des gens autour, il fallait laisser la parole à tout le monde, s'excuse Alexandre Léauté. Cinq médailles d'or aux Jeux, c'est quasi-mission impossible. Ça pourrait être un rêve, mais je veux être honnête avec moi-même. »

Pour exemple, le scratch et l'omnium qu'il vient de remporter ne sont pas au programme paralympique, le kilomètre réunit les catégories C1 à C3, avec des facteurs en fonction des handicaps. En l'occurrence, à Rio, si l'on s'amuse à ce calcul, on constate quand même que le Français aurait gagné. « Trois titres, ce serait déjà génial. Peut-être aussi une médaille sur la course en ligne, et même une sur la vitesse par équipe. J'y crois ! » La semaine dernière, le trio qu'il compose avec Kevin Le Cunff et Dorian Foulon a buté sur le podium (4e). Mais il garde une marge de progression dans une nouvelle configuration. « Je pense qu'on a trouvé une bonne stratégie », insiste Alexandre Léauté. L'avenir le dira.

publié le 26 mars 2024 à 09h01 mis à jour le 26 mars 2024 à 10h50
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